20 – Vingt, c’est vain…
- Everest
- Yves Morel
- 13 Mai 2009
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Namaste depuis ma prison !
Ouh là là… Je vous parlais de prison dorée hier et bien le clinquant des barreaux est peu à peu en train de s’altérer… si j’envisage le plaqué or c’est bien aujourd’hui le maximum ! La neige tombe sans discontinuer depuis deux jours et le camp de base est maintenant recouvert par une vingtaine de centimètres de manteau blanc d’un froid pénétrant et franchement moins romantique que le quatrième prénom de Louise… Le programme quotidien que je vous ai envoyé en a encore pris un coup, tiré vers le bas par les flocons qui tombent et le froid qui nous transperce… Dorénavant, les repas à peine engloutis, nous nous précipitons dans le sac de couchage et le potentiel d’évolution physique en résulte assez limité… Du coup, j’ai essayé d’ajouter une activité en saisissant mon stylo bille et en essayant de gribouiller… Mais sans correcteur, la moindre erreur est fatale… Enfin, je suis quand même content maintenant de retrouver la petite poulette hirsute en train de me sourire en permanence dans la tente ! Le froid et la neige ne l’arrêtent pas, elle…
L’ambiance générale de notre camp suit le mouvement des flocons, et plus que de la lassitude, c’est un ras le bol qui est peu à peu en train de s’emparer de nous… D’après les dernières prévisions, il devrait encore falloir attendre au minimum quatre jours et peut-être quitterons-nous le camp de base le 17 mai seulement pour une possible tentative de sommet le 20 mai… C’est quand ma fête déjà… ? M’en fous d’habitude mais il semble bien que c’est en mai, non ? Il faut réapprendre ou bien apprendre tout court la patience et oublier mes rêves de retour anticipé victorieux…
En ces temps de ciel couvert et de chutes de neige à répétition, la recharge solaire des batteries relève du parcours du combattant et je me retrouve, en plus, à m’embrouiller avec un des cuistots qui veut privilégier l’électricité dans sa cuisine et exerce une obstruction intense à quiconque voudrait puiser sur l’électricité en stock… et cette situation commence à m’énerver…
Revenons-en quand même au plaisir…Dernier clou, celui d’enchaîner une émission de 2000 ans d’Histoire sur Pierre et Marie Curie, puis le superbe « Les Palmes de Monsieur Schutz » qui retrace la rencontre des deux génies et décrit leur découverte du radium jusqu’à leur prix Nobel de physique en 1903… Ah, bien calfeutré dans la tente sous la tempête de neige qui sévissait et fouettait violemment la toile… quel moment de bonheur radioactif !
Ah oui aussi, autre activité « ludique » née de cette situation de reclus, le fait de se défouler en boxant régulièrement la tente depuis l’intérieur afin de faire glisser les paquets de neige accrochés et donc de redonner de temps en temps une nouvelle vie à la lumière… Ben faut se satisfaire de ce qu’on peut…
Sans transition, Joseph est mal en point… Depuis notre retour des camps inférieur, il a perdu tout appétit et son mal de gorge ne fait qu’empirer… Malgré tous nos efforts avec Martin, il a persisté pendant deux jours à refuser d’aller consulter un médecin… ayant déjà fait le deuil de toute tentative de sommet… Et tout à l’heure, ô miracle, il a finalement cédé et s’est vu (contre 95 $ !) prescrire quelques médicaments… espérons que sa situation s’améliore… C’est quand même incroyable cette montagne… Une véritable hécatombe ! Ça tousse de partout autour de moi et même… le médecin de l’équipe haut de gamme des Russes de Seven Summits a choppé une crève carabinée, ne peut plus parler et se sent d’une faiblesse lamentable… C’est décidément les cordonniers les plus mal chaussés !
Remarquez, comparé à d’autres, Joseph se porte comme un charme… On vient en effet hier matin de retrouver au réveil, un sherpa mort, et son acolyte dans le coma ! Après enquête, ils n’ont pas supporté une soirée en altitude très arrosée, mais en interrogeant les médecins de l’hôpital du camp de base, c’est à l’alcool frelaté que les deux sherpas venaient de s’arsouiller… Le méthanol, dont on avait déjà constaté les ravages (folie et cécité) chez les vieux à Madagascar, pardonne encore moins à 5300 mètres d’altitude… Pour couronner le tout, le deuxième sherpa entre la vie et la mort reste malheureusement bloqué au camp de base car les hélicoptères ayant tenté de le rapatrier à Kathmandou ont dû rebrousser chemin à cause du plafond nuageux et neigeux leur interdisant tout atterrissage sur le glacier…
Ah cette météo… je peux vous confirmer qu’il n’y a pas que les vieux qui parlent que de la pluie et du beau temps… Ça en devient intenable cette unique source de discussion dès que nous nous retrouvons à table et je suis bien heureux de pouvoir m’évader par la lecture (merci Nicole ! Génial, « Les vivants et les morts » de Gérard Mordillat !), l’histoire, le dessin et les films… Mon ambition est de m’évader et de me retrouver en position de touriste par rapport à ce camp de base qui n’a que la météo ainsi que la conquête du sommet en tête… Enfin ce n’est pas toujours évident, loin s’en faut… et usage de faux !
Tiens, en parlant météo, il n’y a finalement qu’un seul mec, accompagné de cinq sherpa qui a réussi à atteindre le sommet la semaine dernière… Opportunisme quand tu nous tiens…
Et apparemment il a eu accès à une source de météo suisse… contre la modique somme d’environ deux mille dollars le renseignement !!! Oui ! Pensez bien à éteindre la télévision après le journal de vingt heures, hein… ? On termine sur le trottoir pour moins que ça…
C’est en tout cas le montant dont Martin m’a parlé, lui qui avait dû avec une dizaine d’autres alpinistes mettre la main à la poche en 2007 et sortir cent cinquante dollars pour obtenir une prévision météo la plus fiable possible… Faites le compte …
Et pour la petite histoire, il avait dû renoncer au sommet à cause de cette méchante « Khumbu caugh » qui l’avait fait plafonner au camp III… Et le voilà de retour deux ans plus tard… Vous voyez que je ne suis pas le seul à avoir de la suite dans les idées… mais là, même en cas d’échec, never again ! La même somme (ou largement moins) servira à un nouveau tour du Monde en sandales et en pantalon de pêcheur, et non pas en bottes d’astronautes ni en crampons…
Enfin, en attendant, j’y suis, et porté par un appétit gargantuesque, j’y reste, patiente et n’ai pas l’intention de lâcher le morceau… si la météo se fait un peu plus conciliante bien sûr… Nous sommes tellement des fourmis à côté de ce Mastodonte rocheux et glaciaire…
Voili voilou les nouvelles, pas grand changement sinon du pire et une neige qui je l’espère va s’interrompre définitivement… Je veux revoir les cailloux, veux pouvoir faire sécher mes chaussettes sous le chaud soleil matinal… des joies simples quoi, qui, je pensais, faisaient partie des acquis sociaux d’altitude…
Pheri Bhe Tongla à vous, bienheureux loin des flocons !
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