16 – Sur un Nuage… Dans les Nuages…
- Everest
- Yves Morel
- 03 Mai 2009
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Namaste les amis !
Alors, comment ce jour sacro-saint de la Fête du travail s’est-il déroulé en France ? Pépère… ? L’occasion d’un bon pont des familles ? En tout cas j’ai (in extremis…) bien pensé à vous…
J’ai juste réalisé hier, alors que nous entamions cette belle descente vers une semaine de repos, que nous nous apprêtions en fait à partager le même genre d’instant… fait de repos, et d’évasion…
Voilà, comme indiqué en titre, je continue à voguer sur un nuage depuis que nous avons quitté la froide altitude pour la végétation, les fleurs alpines, les insectes butineurs… la vie quoi !
Et quitte à goûter cette vie à fond, j’ai décidé de redescendre à nouveau les deux mille mètres de dénivelé et de me reposer carrément à Namche Bazar où je m’étais fait soigner la maudite dent la dernière fois…
L’équipe s’est donc disloquée hier…
– Martin, qui venait de dormir au camp III, a préféré s’octroyer (c’est ça les Aïe-riches, ça se la pète…) quelques jours de repos au camp de base.
– Les Russes… je sais pas où ils se trouvent à l’heure actuelle… !?!? Non mais faut les suivre ceux là… malgré leurs 126 ans cumulés… Nonobstant le repos officiel, à six heures du matin, ils étaient déjà sur la piste et ont disparu dans la nature donc on n’a pas non plus cherché à les rattraper avec Joseph…
– Et Joseph alors, mon pote Joseph… Je m’entends vraiment bien avec lui… Il est vraiment gentil, humain, ouvert, généreux… mais un peu trop Républicain à mon goût… du style à perdre la frite mais continuer à voter McCain… Bon, elle est naze celle-là mais repose pourtant sur du réel… en gros c’est vraiment pas grâce à lui qu’Obama est en ce moment au pouvoir… Ben au moins on partage quelque chose par rapport à nos Présidents respectifs… Allez je m’arrêterai là…
Bref où en étais-je ? Ah oui Joseph… Et bien avant-hier il était bien mal en point l’ami Joseph lorsque nous avons quitté ensemble le camp de base… Il se traînait comme jamais, soufflait de façon bovine et, lui qui possède une voix de stentor habituellement, se retrouvait mais alors complètement aphone… Voilà comment je conçois le débat politique ! Un temps de parole partagé, mais une extinction de voix dès lors qu’existe une opposition… ( ; – )
Oh, et puis c’était marrant le pauvre Joseph… Oui, il faut que je précise… Je vous ai « décrit » les six enfants et les neuf petits-enfants de Joseph, mais pas précisé qu’il était divorcé… donc tout ça pour dire que le père Joseph ne serait pas contre (mais alors très très contre… comme disait Sacha Guitry, je crois…) de se dégoter une petite gazelle d’altitude…
Et v’la t’y pas que dans le lodge de Pheriche où nous nous sommes arrêtés, son périscope semble détecter une créature célibataire…Bip Bip Bip… Le sonar est en branle… Bip Bip Bip… il se prépare mentalement, adopte une regard viril de vieux barbouze mal rasé des cimes… et lui demande : « vous vous dirigez vers le camp de base ou bien vous descendez… ? »… Pas de réponse… Sound of silence… comme auraient dit Simon et Garfunkel… La nana demeure concentrée à ranger ses affaires dans la salle du restaurant… Joseph se tortille la gorge…reprend sa respiration, plisse les yeux, intègre un rictus vaguement aquilin sans perdre de vue la suite des opérations et… lance nouvelle tentative, la phase II de l’opération « Tempête du disert »… « Vous allez vers le haut ou vers le bas… ? »
Impassible, la fille ne tourne même pas la tête, finalise son sac… et disparaît raide comme balle en traversant la salle… n’ayant pas dû percevoir dans le brouhaha ambiant les vingt-cinq décibels de la question de Joseph…
Ouh là là le grand moment de solitude !… Joseph me regarde, dépité…avec néanmoins un petit sourire pincé aux commissures légèrement désabusé, le tout agrémenté d’un vague dodelinement du sous-chef soulignant un air déçu et contrit…
Conclusion ? Bienvenue au « Contrit Club », l’association ou tous les membres font la gueule… Le club où on aurait toujours besoin d’un bon Pathé – Marconi avec soi… Quand la voix quitte son maître, tout part à vau-l’eau ! Pauvre Joseph…
Bon… passée cette malheureuse et stérile aparté silencieuse… C’est quand même fou le rôle néfaste de l’altitude… il aura suffi d’une nuit dans cet hôtel de Pheriche (vers les 4300 m d’altitude soit mille mètres plus bas que le camp de base) pour qu’il (Joseph) récupère un peu de timbre (mais pas encore l’enveloppe…) et énormément de forme physique… La deuxième journée de marche ensemble s’avérant sans commune mesure avec la veille, nous avons dévoré le sentier irrégulier d’un rythme vraiment soutenu.
C’est à Tangboche que Joseph a souhaité s’arrêter hier et nous nous sommes donc séparés bien fraternellement pour trois jours devant le monastère bouddhique…
Il me restait alors trois bonnes heures de marche pour « redescendre » à Namche Bazar, vrai village par excellence où j’entends bien goûter ce repos de façon complète avec au programme… Internet, internet, internet… mais aussi films à gogo sur fond de bières et de « lèche-vitrines »…
Oh je suis en train de repenser à ces deux journées de libération qui viennent de s’écouler… C’est réellement in-croy-able les effets de l’acclimatation et les conséquences en terme de globules rouges qui doivent squatter mon corps de partout… Ah là, par temps de McCarthysme et d’ Edgar Hoover au FBI, c’est clair que je ne passais pas au travers de la chasse aux sorcières… Ça sentait l’exil forcé à la Chaplin, Hemingway, Fonda ou tant d’autres… Rouge, Rouge…je suis Rouge ! Mais pourquoi est-il si méchant ? Je ne saurais répondre mais toujours est-il que les montées tellement rudes et cassantes d’il y a dix jours (seulement !) m’ont semblé hier pure gnognotte… mes jambes avançaient comme portées par un tapis roulant… aucune brûlure, pas même tiédeur ne les échauffait…c’en devenait un mécanisme complètement rodé et bien agréable à observer…
J’ai dû effectuer le même itinéraire Pheriche – Namche Bazar en économisant au bas mot deux heures… Je me sens littéralement dopé… c’est vraiment euphorisant cette sensation de constater que son propre corps a réalisé en à peine quelques semaines des progrès spectaculaires… Progrès d’un côté, et une bonne perte de poids de l’autre… je me retrouve en permanence obligé de remonter ce maudit pantalon et me retrouve avec ce look de djeun’s que je trouve tellement moche et ridicule d’ordinaire… jean trop large qui tombe et sous-vêtements qui dépassent… Comme quoi il ne faut vraiment jamais jurer « fontaine je ne boirai pas de ton eau »…Si on m’avait dit que j’adopterais cette dégaine…
Et puis du coup, quand on se sent en état de grâce… chaque source de plaisir habituellement minime s’en retrouve « exponentialisée »… Ah les rubans de nuages bas qui défilaient et obstruaient ainsi tout horizon… Triste me direz-vous ? Certes mais sur fond de voix chaude et accueillante de Florent Vintrigner agrémentée par la présence des accordéons incendiaires de La Rue Kétanou, et bien les froides brumes filantes en devenaient un moyen de locomotion, d’évasion…Une poésie télé portative… Ah, comme dirait Télérama, voici un groupe dont les albums devraient être remboursés par la Sécurité Sociale au titre d’antidépresseur…
Mais de façon globale, j’ai tellement plané durant ces deux jours que je serais incapable de décrire le facteur météo… A-t-il fait beau ? A-t-il fait gris ? Des journées de cachot ? Ou bien percées d’éclaircies ?
Je me souviens seulement que j’avançais, comme un robot après son injection (oui, vous savez ?… comme ils font des joueurs de tennis du côté des Baléares en ce moment… Du style gaucher, muscles atrophiés et qui coure partout…non rien, ce n’est qu’un fait d’Ibère, rien de plus…) mais avec un sourire béat aux lèvres… Plus qu’un sourire, j’irradiais d’un véritable soleil intérieur, un soleil auquel aucun écran total ne résiste… un sourire qui je l’espère, ne va plus me quitter avant la fin de l’expédition…
Arriver à Namche-Bazar, me poser, et lire votre tsunami épistol@ire… Quelle belle perspective…
Allez, je vais la faire en vers… et seulement à moitié pleins comme aurait dit Ovide… ( : – D
J’ai eu envie de vie… une envie de vie vive. J’ai eu envie de vous. Dévorer vos missives. Rester au garde à vous. Envie d’un nouveau havre. Un Havre à devenir ivre… J’avoue…
Allez, sans transition, quand je vous décris le nuage sur le quel je me trouve… et bien j’ai failli en descendre vite fait bien fait de ce nuage… plus vite qu’une giboulée de mars…
Il a suffit d’une poignée de secondes de relâchement… Je croise sur le sentier un chargement de yaks, m’avance jusqu’au dernier moment… et choisis stupidement le mauvais côté, le bord du sentier… Mama Mia ! J’ai failli me faire envoyer valdinguer dans le précipice d’un coup de hanche par le transporteur poilu pas du tout impressionné par le piquant de mon bâton télescopique ni par les « ouh là ! ouh là ! » que je proférais de plus en plus flippé, illustration du mec en train de réaliser qu’un danger imminent s’immisce inexorablement… Et quand je parle de précipice, à ce niveau de la compétition je n’exagère pas… c’est une pente quasi verticale qui plongeait jusqu’au torrent du Khumbu, au bas mot cinq cents mètres plus bas… Heureusement que j’ai eu le réflexe de m’accroupir et donc de me retrouver au niveau des pattes, ce qui m’a laissé un espace de vie supplémentaire, et m’a ainsi permis de ne pas me manger un coup de flanc d’anthologie qui m’aurait fait basculer dans le vide… Et pendant ce temps là, le gros bovidé sacré, mais pas forcément lumineux, poursuivait tout droit son chemin en mastiquant ferme et en trépignant du croupion, qu’il avait d’imposant…
Je peux vous dire que dix minutes plus tard, lorsque j’ai croisé un nouveau « convoi exceptionnel », et bien j’ai retenu la leçon et me suis patiemment plaqué du côté de la paroi… tandis que la caravane de gros culs occupait le sentier… La vache ! Yak à bien se tenir le bougre…
Voili voilou les nouvelles du front… sans oublier des lambeaux de peau en train de s’en détacher bien sûr…
Je me repose, me fais plaisir à Namche Bazar… en espérant que cet hédonisme ne se retrouve entravé par de sombres considérations d’ordre pécuniaire… Et oui…Je me retrouve en effet à sec, raide, in dire straits, broke, fauché comme les blés, pennyless, sans l’sou, sur la paille, le sable, dans la mouise… et, s’il n’existe pas d’ATM dans le village, je peux en théorie retirer de l’argent grâce à ma carte visa depuis un hôtel en connexion avec la banque… Sauf que… le ciel s’avérant vraiment trop bas et nuageux (est-ce la raison ?), aucune liaison téléphonique ne fonctionne depuis hier et donc… et donc, je cherche, seulement armé de mon sourire à vivre à crédit… Ça a un peu marché hier et j’ai pu bénéficier de deux heures d’internet mais bon, je serais quand même plus en confiance si la météo tournait et que je puisse sortir à nouveau du brouzouf !
C’est dingue l’idée… l’indépendance financière dépendant du ciel et de la météo… Et ben, l’Afrique serait définitivement en position de nous narguer et la vieille Europe (du Nord en tout cas) serait fréquemment en train de faire la manche (sans jeu de mot… Quoique…) pour du liquide ! Et le tunnel sous la Manche ne serait pas cet impressionnant tour de force technologique mais la commission personnelle des meilleurs commerciaux mendiants !
Bon, je m’arrête là dans mes délires et m’en vais souffler pour provoquer une trouée nébuleuse…
Pheri Bhe Tongla les amis et profitez bien de Mai, Maïa… bref du mois des accouchements.
Yves
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