15 – Mail en colique…
- Everest
- Yves Morel
- 01 Mai 2009
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Namaste !
Ahhh, le voici enfin ce camp de base tant convoité, cette chaleur dont j’ai tant rêvé ces derniers jours, cet ordinateur à tout faire enfin retrouvé, et peut être l’amélioration d’un physique mal en point…merci mon Florent, et copyright à toi pour cette « bonne » blague mélancolique…
Où en étais-je… ? Ah oui, après un retour au camp de base sur les rotules à cause des antibiotiques administrées j’espérais goûter un repos mérité d’un jour ou deux avant de tenter de rejoindre les autres dans les altitudes des camps I et II…
Et ben c’est beau de rêver ! Nima, mon sherpa personnel (26 ans et donc un peu trop jeune à mon goût… c’est vrai quoi ! Il fait rien que de gambader sans jamais une once de souffle à un point tel que je me sens tétraplégique à côté…) est venu me chercher dès le soir de mon retour au camp de base, m’annonçant qu’on partirait le lendemain matin à 5 h et demi… Bon… Dont acte… le repos repassera…
Par contre, en attendant le départ, j’ai encore eu la chance de me mettre sous la dent un nouveau coucher de soleil, franchement pas piqué des hannetons… (oui, j’ l’aime bien c’ te vieille expression collée au ptère…). Un coucher de soleil encore extravagant de couleurs, moins féerique (heureusement que le correcteur d’orthographe existe quand même parce que j’allais de ce pas lui coller deux « é » à féerique !) que la veille certes, au sens ou cette fois très peu de nuages venaient enrubanner les cimes empourprées , mais du coup le coucher de soleil en ressortit plus pur encore…. Le décalage était tel entre le glacier plongé dans la pénombre et les sommets vertigineux brillant de leur mille derniers feux, que l’impression s’imposait selon laquelle un artiste art déco venait de s’inviter de façon éphémère pour peinturlurer d’incendie une œuvre monochrome sur fond de grondements pourvoyeurs d échos apocalyptiques…Ouais ouais, tout ça, j’assume…c’était beau alors je balance la grosse artillerie…
Et oui, même si la déflagration causale n’est pas toujours phénoménale de violence (par ci, une légère rupture de glacier se terminant en avalanche pulvérulente, ou par là le chaos sourd d’une chute de pierre semant son onde de choc de désolation)… et bien la situation de bout du monde encaissé de ce camp de base faisant office de caisse de résonance, il en ressort à chaque fois un bruit sourd et dantesque attirant bon nombre de spectateurs, toujours pris par la grandeur du spectacle…
Et si je rajoute le fait que la fonction shuffle de mon lecteur mp3 s’évertuait à diffuser la voix caverneuse, mélancolique (vous verrez que cela va vraiment s’avérer prémonitoire…) et malheureusement posthume du Dieu Alain Bashung (« Bleu Pétrole »), et bien il en sortait une impression de mimétisme envoûtant du son sur l’image…
Et puis le soir, au rayon des anecdotes bizarres, en voilà une qui aurait poussé notre Obélix national à conclure « ils sont fous ces Népalais ! »… J’étais en effet en pleine discussion avec Maïla, notre cook, à propos de notre désir sous jacent et partagé de rentrer au plus vite à Kathmandou, puis de retrouver les nôtres, et dans cette optique je lui montre une photo de notre petite Louise qui « fêtait » ses 4 mois ce jour-là… Dans la foulée, il m’apprend dans un anglais correct qu il a petite fille de deux ans qu’il est trop pressé de retrouver, et dont il me montre des photos sur son téléphone portable… Je lui demande alors son prénom… Je le vois alors réfléchir, prendre un air confus, visiblement gêné et conclure « Excuse-moi, je ne m’en rappelle pas… !!! ». Alors, sérieux… « Ils sont pas fous ces Népalais… ??? »
Revenons-en à ces quatre jours qui marquent la fin de la Phase II d’acclimatation et qui se sont avérés bien durs tant physiquement que psychologiquement…
Au début, pas de problème, nous avons ainsi avec Nima réemprunté un itinéraire désormais connu, louvoyant entre crevasses monumentales et échelles saucissonnées certaines fois par paquets de trois histoire d’assurer la longueur nécessaire au chaos à franchir… Des crevasses réellement indescriptibles… certaines devant atteindre cinquante mètres de profondeur, à moins que leur fin même ne soit qu’une impression… Á travers les barreaux de ces échelles salvatrices, j’avais vraiment l’impression de tutoyer les entrailles glacées de la terre et cela m’évoquait aussi les chaudes larmes versées dans « La grande crevasse » de Frison-Roche alors que j’étais petit…
Oh ces crevasses… !!! Je ne m’y ferai décidément pas… Si la première impression qui étreint le visiteur est celle de cet enchevêtrement bien instable de séracs, et bien la seconde, en l’occurrence le spectacle de ces crevasses, remporte bien la palme de la démesure… De véritables cathédrales gothiques à la nef froide et austère, œuvre d’une glaciale inquisition préférant comme outil de torture la crucifixion à la stalactite plutôt que le bûcher… La plus haute montagne du monde bâtie sur les plus profonds vides de carrière… va falloir y envoyer illico presto l’IGC (Inspection Générale des Crevasses) !!
Oui donc, le jour où nous nous apprêtions à rejoindre les autres, et contrairement à l’habitude, le ciel s’avérait étonnement couvert et Sagarmatha semblait s’apprêter à vouloir dévoiler une face moins angélique et placide… Le vent a ainsi progressivement gagné en force pour atteindre son paroxysme lorsque nous avons intégré notre tente du camp I… Cette dernière semblait battue par les éléments comme un ballot de paille voire comme la cabane de Big Jim dans la « Ruée vers l’Or » de Chaplin… Je n’en menais pas large mais les sardines de métal biseautées et solidement amarrées au glacier (comme au vieux port d’ailleurs…) ont vaillamment tenu le coup tandis que je me plongeais encore plus profondément dans ce sac de couchage au bien être amniotique… Nima, lui, semblait garder confiance quant à la belle météo censée nous attendre le lendemain… même si personnellement je doutais dru… d’autant plus qu’une accalmie momentanée du grand souffleur était suivie d’un coup de boutoir aussi destructeur qu’imprévisible sur notre frêle tente qui prenait cher dans son grand Foc…Fuck !
Et bien, ne me sentant vraiment pas dans mon élément, rien de tel qu’une bonne politique de l’autruche, en l’occurrence un demi somnifère, pour quitter ce monde de glace et rejoindre celui du marchand de sable…
Le lendemain, en effet, semblait être plus pacifique… Nima connaît bien « sa » montagne, et puis il l’a déjà summitée deux fois quand même…
Mais, voilà, mon talon d’Achille, en l’occurrence ce diabolique syndrome de Reynaud me rappelle vite que je ne devrais rien faire dans ce milieu de montagnards… Quel froid aux mains sur la route du camp II… ! C’est dingue ! Il suffit que je sorte les mains de mes moufles l’espace de quelques secondes pour qu’une sensation paralysante m’anesthésie complètement toute pronation…
Et le pire, c’est de constater l’incompréhension des sherpas qui se baladent sans gant, manipulant les métaux (mousquetons, jumars…) les plus conducteurs au froid de façon complètement indifférente… C’est vraiment ma principale peur relative à la montagne, ce syndrome de Reynaud… Et dire qu’il n’y a rien à faire et qu’une gelure peut arriver si vite… Mes doigts s’ankylosent… et c’est flippant…
Le lendemain, rebelote… Je suis en train de puiser sur mon potentiel de résistance au froid et je n’aime pas ça… C’est trop tôt. Je me sens assailli de tremblements, et ma raison de vivre quotidienne se résume à l’heure où je pourrai intégrer ce « maudit » sac de couchage… Franchement, il faut être maso quand même… Le camp II en général, et notre équipe en particulier ressemble à une immense cour des miracles…
Abu (par ailleurs incroyablement résistant) ne fait que tousser, Joseph est devenu complètement aphone à cause d’un méchant mal de gorge et ressemble à un zombie (version films de Romero hein ? pas les survitaminés de 28 jours/semaines plus tard…) dès qu’il entreprend le moindre geste… et pour ma part, une fois la rage de dents oubliée, c’est maintenant une énorme turista qui m’assaille et m’empêche toute assimilation…
J’ai le ventre qui n’arrête pas de me tortiller et les plages de nuit ressemblent à de longs cauchemars entre tremblements de froid et picotements de chaleur… Vraiment je m’accroche à ce rêve de sommet mais les phases de bonheur s’avèrent en ce moment trop rares par rapport à celles de souffrance, et très souvent je me dis qu’il serait plus simple d’abandonner purement et simplement… Franchement, j’en ai marre de trembler, marre du froid… j’ai envie de me balader en pantacour, en T-shirt, sans craindre le fatidique 17 h comme synonyme de repli du soleil… bref j’ai envie de… la chaleur croissante que vous êtes sûrement en train de vivre… Quand je disais qu’il fallait être maso…
Quelle que soit l’issue de la bataille finale avec le sommet (bien anecdotique en fait… z’avez vu, j’ai mûri quand même… !?!?) je pense vraiment que je lance mes forces dans la dernière montagne… longue et coûteuse en énergie… Peut-être me restera-t-il des envies pour des montagnes plus rapides et « qui ont une gueule » comme l’Alpamayo ou d’autres… ??? Mais des histoires de deux mois comme l’Everest c’est fi-ni ! Non vraiment c’est trop long…
Enfin, ce qui compte à court-terme, c’est que nous ayons terminé la phase II d’acclimatation en accédant (presque… mon mal de ventre m’ayant ordonné de faire demi-tour à une corde fixe près) au camp III et ses 7000 m nichés en pleine paroi de glace… Et dire que nous allons maintenant entamer un repli jusqu’à 4000 m pour nous ressourcer et nous permettre de « rebondir » encore plus haut… Ça risque de faire bizarre d’expérimenter à nouveau une vie de « confort » pendant une grosse semaine avant de retourner au charbon, ce charbon si glacial…
En attendant…Ouf, ça y est ! Le retour au camp de base, point de départ de cette bonne période de repos avant de tenter l’assaut final…dès qu’un créneau météo se laissera entrapercevoir…
Il ne me reste « plus » qu’à récupérer de cette méchante diarrhée (on souffle dans le cor lorsque la chiasse accourt…) et à me reposer… tout en me préparant psychologiquement pour les cinq jours de combat final qui risquent de s’avérer exceptionnels en consommation d’énergie…
Ah les « chanceux », profitez bien des beaux jours qui doivent rallonger à la vitesse du nez de Pinocchio, et envoyez-moi un peu de chaleur (j’en rêve tellement…) et d’esprit de lutte avant la phase finale dans un peu plus d’une semaine à priori…
Et puis, j’ai un peu perdu le fil avec l’échéancier des exams mais je souhaite plein de courage et bonne chance à tous mes élèves devant le… on va dire le Mont Blanc à franchir, en l’occurrence le BTS (Brevet de Trekeur Supérieur) qui vous attend…
Pheri Bhe Tongla à tous…
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