14 – De Charybde en Scylla… au camp de base
- Everest
- Yves Morel
- 25 Avr 2009
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Namaste !
Et ben voilà, j’ai descendu le plus rapidement possible ces deux mille mètres de dénivelé, la mort dans l’âme, en jetant un coup d’œil épisodique par-dessus mon épaule juste pour confirmer cette tristesse et ce désarroi à leur comble, pour cet au revoir qui sentait si fort l’adieu…
Malgré le soleil qui peu à peu a disloqué les derniers nuages prisonniers au fond du vallon… oui, malgré une lumière qui aurait dû inciter à la bonne humeur dans ce pays de rêve, et bien tout me semblait bien gris et insipide… Les cloches de yaks ne m’apparaissaient plus du tout mélodieuses mais ressemblaient d’avantage à des poids lourds invasifs auxquels il fallait laisser le passage… le roulement lancinant du torrent en contrebas me rappelait le son insupportable du trafic autoroutier… je voyais en ces arbres en fleurs des « rhododendrons de la farce » (tout ça pour dire que même les fantômes font de l’esprit !) et…tout, jusqu’au sourire enchanteur des enfants des villages me laissait froid, et… je peux même affirmer que je n’ai pas résisté au plaisir d’en claquer trois ou quatre… non mais ! non non non, je déconne je déconne !
Enfin, malgré une pilule peu à peu digérée, ce n’était pas un moral de grands jours qui m’a accompagné hier sur la piste de Namche Bazar… Environ dix heures cumulées de sentier avec de la descente principalement mais des phases bien austères de rude montée pour mes jambes qui n’avaient aucune motivation de « monter pour descendre »… Alors si l’on ajoute le fait que je suis resté pratiquement un jour et demi sans manger (les spaghettis d’hier soir étant restés majoritairement dans l’assiette pour participer à la pochette du prochain album des Guns & Roses)… et bien c’est cre-vé que je suis arrivé à Namche Bazar…
Voila pour Charybde, de rester sans se sustenter (le Diable surtout…) et surtout de saliver de jalousie à la vue d’autres treckeurs, tranquillement installés devant un plat de fried noodles roboratifs…
La clinique dentaire n’étant pas encore ouverte, j’en ai profité pour faire le plein de réconfort, d’amour et d’amitié en accédant à un internet donné ici par rapport aux cyber cafés d’altitude, 2 € de l’heure au lieu de …15 € !! J’ai dû y passer plus de trois heures en tout, y lire une centaine d’émiles de retard et… c’est fou comment cela m’a ressourcé… Merci à tous !!! Vraiment… Famille, potes de France, collègues, élèves, potes du bout du Monde… Mer-ci !
Et puis, comme mes dents m’interdisent de mastiquer, et bien rattrapons-nous sur la bière, ça nourrit il paraît… le seul risque consistant à passer au retour pour « houblon décoloré »… mais bon j’assumerai…
Donc voilà pour les plaisirs immédiats avant de faire un tour à la fameuse clinique dentaire, la plus haute en altitude du monde d’après une affiche placardée sur leurs murs… Là bas, la « dentiste » (en fait elle m’a rapidement et honnêtement affirmé qu’elle n’était habilitée à effectuer que des bricolages mais n’avait pas toutes les compétences de dentiste…), en apercevant la couronne m’a donc confirmé qu’elle ne pouvait entreprendre aucune intervention et que j’avais le choix entre, redescendre à Kathmandou en hélicoptère (mais mon regard délavé à base d’€uros déprimés l’a vite fait oublier cette piste), ou bien tenter des antibiotiques pendant une semaine…
Pour confirmer ses dires, elle a vite effectué une mini radio de la dent mettant en évidence un début (petit apparemment) d’abcès… pouvant rendre optimiste face à une prise d’antibiotiques…
Vraiment sympa la femme, elle s’est ensuite pliée en deux pour m’aider, et en quatre quand je lui ai expliqué le problème initiatique, en l’occurrence la braguette, qu’elle avait d’ailleurs largement le temps d’ausculter lorsque je me trouvais en position allongée… Donc, pour illustrer le pliage en deux, elle a fait des pieds et des mains (souples au Népal !) pour recontacter une treckeuse dentiste qu’elle avait rencontrée la veille et à laquelle elle a demandé et obtenu confirmation quant à la pertinence de la prescription…
Et en ce qui concerne le pliage en quatre, j’ai été envoyé illico presto, chez un de ses cousins couturiers qui m’a confectionné une belle braguette toute neuve avec option « je conserve les odeurs »… je vais leur faire le coup de la « braguette magique» au retour au camp de base… Tiens, ce sera intéressant d’observer si le très puritain Martin qui semblait réellement choqué par cette ouverture impromptue se rendra compte spontanément qu’un nouveau zip est en train de sauver la morale…
Donc voili voilou la situation, j’ai fait ce que je devais faire je pense, et j’espère (plus de inch’ Bouddha c’est fini… temporairement) et dans le pire des cas, si la douleur ne disparaît pas, et bien il va falloir que j’apprenne à manger sans mâcher, histoire de conserver quand même un minimum de forces…
En attendant, Pfffou… j’en ai du mal à m’extraire du sac de couchage, rien que de penser qu’il va falloir se retaper tout ce sentier et cette fois en deux jours, non plus en sept, si je veux limiter le retard d’acclimatation par rapport au reste de l’équipe…. J’en ai déjà les jambes coupées…
Quel mal de dos et de jambes je me tape ce soir, enfin arrivé à 4200 m… J’ai emporté trop de choses avec moi dans le sac a dos, je le sais, mais l’ordinateur devient incontournable et puis le sac de couchage salutaire dans ces fraîches chambres à coucher… Donc en ajoutant à cela une journée express, et peut être ( ??) les antibiotiques qui m’affaiblissent, je rentre dans mon box (c’est le mot, des chambres de 2 m 50 sur 2 m 50 à base de planches de bois pour… 50 centimes d’ € la nuit, ce soir !!) les jambes chancelantes…
Plus que des points d’interrogations, je suspecte grandement les trois fois deux antibiotiques quotidiens d’annihiler mes forces… Je ne me suis jamais senti à plat à ce point, j’effectue quinze pas (de rude montée il est vrai) et je suis cuit… j’ai l’impression que mon cœur se met à battre la chamade… Voilà pour Scylla !
Par contre, qu’il y ait au moins un revers de la médaille, les médicaments semblent faire un effet certain et direct… La douleur a quitté la « dent » et est descendue en bas de la mâchoire… c’est beaucoup moins aigu mais j’ai l’impression de m’être ramassé un direct…
Je ne vais quand même pas chipoter, hormis la fatigue liée à cette dure journée, la principale épine est quand même en train de s’extraire… et c’est redevenu de la pure joie d’observer les petits détails de la nature ainsi que de la vie villageoise…
Et quand, en plus, mon lecteur MP3 décide de lancer la « Symphonie des jouets » du père Mozart et que le gargouillement des oiseaux du morceau se confond avec celui réel, de moineaux d’altitude… moi aussi je fond !
Et que dire de la simplicité des mômes en train de jouer au badminton avec des boîtes de crayons et une énorme lauze en guise de filet… Ah on est loin du fac-simile de la Wii à ce niveau de la compétition…
Un peu plus loin, dans la série des jeux simples et peu onéreux (tiens je crois que je vais lui offrir cela à Louise pour Noël…), des enfants en train de sauter à cloche pied en se tenant l’autre pied dans la main… à 4000 mètres d’altitude, normal quoi !…
Et pour finir avec les jeux anti-consuméristes, l’indémodable jeu de la pièce à lancer le plus près possible du mur… voila ce qu’il faudrait réintroduire chez nous, un jeu de trois ou quatre pièces de vingt centimes d’€ bien emballées et vogue le navire… voilà un cadeau simple et peu onéreux par temps de crise, non ? En tout cas les enfants Népalais en sont ravis…
Idem, au rayon des descriptions, à un détour de virage, des femmes népalaises se lavaient…(habillées hein !?! Non je préviens, au cas où il y aurait des puritains à la Martin dans la salle…) bien scrupuleusement les cheveux dans une bassine, puis se peignaient à tour de rôle de façon non moins attentionnée sous un soleil chaud et bienfaiteur et à l’abri du vent… Tout ça pour me rappeler que je vais bientôt fêter mon 1er mois sans lavage de cheveux…je devrais plutôt parler de filasse ! Moi qui craignais de finir un jour sur la paille, c’est en train de se concrétiser …
Sinon, le moral de retour mais les jambes en berne, et donc le rythme conchylien, j’ai eu bien le temps de m’emplir tous les sens… sur ce sentier virevoltant que je commence pourtant à connaître (la troisième fois en deux ans…). En soufflant délicatement, le vent faisait bruisser les frondaisons des pins, et le tout associé à un soleil qui s’affirmait virilement, les aiguilles dégageaient ainsi de suaves parfums de résine pour le bonheur des narines … peu habituées depuis trois semaines à un tel feu d’artifice odoriférant !
Et aux antipodes des noirs sentiments de la veille…Le torrent Khumbu avait profité de ma hausse de moral pour emprunter la première bretelle et quitter l’axe autoroutier, les rhododendrons semblaient se surpasser de merveille quant à leur floraison, et les caravanes de yaks m’enchantaient à nouveau, non seulement par le doux tintement de leurs cloches mais aussi car… c’est l’occasion de se reposer lors de leur croisement !
Voilà tout semble, à court terme, rentrer dans l’ordre… Espérons que mes chicos se fassent oublier jusqu’au mois de juin, au moins… et que je puisse payer mon retard d’acclimatation le moins cher possible…oui, cela commence à m’inquiéter sérieusement maintenant.
Á force de volonté, j’ai finalement réussi à rallier le camp de base en deux jours… deux épuisantes journées, mille quatre cent mètres de dénivelé pour la dernière associée à une bonne dizaine de kilomètres de distance… et surtout un abrutissement médicamenteux auquel je n’ai pas l’habitude…
Je suis arrivé en fin de journée comme un zombie à la démarche chancelante, mais néanmoins heureux d’avoir tenu mon objectif…
Pour me récompenser, j’ai tout d’abord croisé dans la dernière (mais trop longue !) ligne droite, un groupe de sherpas, discrètement à l’écart sur la moraine car en train de s’envoyer derrière la cravate une petite bouteille de whisky… Constatant mon allure délabrée, mon regard morne, mais nonobstant vif quant à l’observation de leur précieux liquide revigorant, les sherpas n’ont pu trouver d’autre alternative que de m’en sacrifier trois bouchons et… Damned… ça m’a fait un bien fou !!
Un plaisir ne venant que rarement seul, j’ai eu droit sur ces entrefaites à un coucher de soleil fa-bu-leux que je vous enverrai en pièce jointe le plus tôt possible… Des nuances orangées, mordorées et vermillonnes mettaient en évidence les cimes majestueuses du Bohla ainsi que du Nuptse alors que glaciers, ice fall et pénitents avaient déjà, résignés, revêtu leur habit bleu vespéral… Blousant de grandeur ! Vers le sud, d’élancées aiguilles de pierre tentaient ça et là de s’offrir une obscure présence face à un raz-de-marée de nuages bas, colorés de façon outrageante par le rubicond du ponant… Pour ça aussi, j’espère que mes images rejoindront bientôt dans vos machines mes descriptions passionnées…
Et pour parfaire le tout, une fois rentré au bercail… quasi vide, j’ai eu le grand plaisir, non seulement de retrouver nos anges gardiens culinaires qui semblaient eu aussi bien heureux de me voir réintégrer « les » troupe(s), mais aussi et surtout, de constater que mon forcing pour obtenir un panneau solaire venait enfin de porter ses fruits… Yeeepah ! Je peux maintenant recharger batteries et ordinateur sans devoir aller faire le mendiant aux quatre coins du camp de base… Faut dire que je n’aurai pas lésiné sur les moyens, et surtout pas lâché Steven Sherpa, le grand manitou d’Asian Trecking (notre expédition)… en allant maugréer dans un premier temps, puis en haussant le ton comme quoi on payait le même prix que les autres et qu’on n’avait pas à être considéré comme la troisième roue du carrosse, et enfin… une fois le message passé, en décidant de me lancer dans une visite pluri quotidienne histoire d’enfoncer le clou… C’est fait ! Fiat Lux ! Et pour une fois, ce n’est pas de la lux à Sion…
Maintenant, je viens d’avoir le reste de l’équipe au talky-walky, et ces chanceux à la dentition non douloureuse se trouvent actuellement entre le camp I et le camp II…. Mais bon, méfions-nous de trop de camp X raton… Ah, le camp de base paraît bien vide et je me rends compte que je n’aime pas cette position de retardataire… Si tout se passe comme prévu, je vais m’octroyer deux jours de repos mérité, puis un sherpa devrait venir à ma rencontre histoire de rejoindre (ou plutôt de croiser) les autres et de pousser l’aventure jusqu’au camp II voire III…
En attendant, vive le grand nettoyage de printemps…
Ooooaaaaahhhh… sérieux, je ne me rappelle plus d’un pur bonheur aussi simple depuis un bon bout de temps… Se sentir propre… se sentir tout court… Il est des douches superficielles, et personnellement je ne cours pas après… mais cette douche traditionnelle, à l’Africaine, de ce matin…restera à tout jamais dans ma mémoire, à l’instar de celle du retour d’expédition sur le Mont Mckinley en Alaska, après deux semaines de grand froid et… de grosses odeurs… Je me sens propre, propre comme un fou neuf c’est tout dire… Et les jambes, et les pieds, et la tête, et les cheveux, et les… Alouette, gentille alouette… (Alouette est un concurrent savonné de Dove, la colombe…)… Alouette, je t’assumerai… Et pour couronner (sans abcès…) le tout, je me suis lancé dans une folle entreprise de ratiboisage de moustache, rasage de joues… et de parfumage !!! La montagne, ça vous gagne…
Et comme un malheur (pour les mouches… mais bon y a plus de mouche ici…) ne vient jamais seul, j’ai même lancé une grande lessive au génie sans frotter, le bonheur des routards… Quel fumet de vacances, de soleil et de camping se propage en ce moment sous la tente… ! Du camping en haute altitude, posé sur un glacier en perpétuelle mouvance mais du camping quand même…
Ah j’espère être fin prêt et symboliquement régénéré à l’approche de ce nouveau départ après demain… et puis je vais tenter de diminuer un peu ces antibiotiques qui me laissent sur les rotules, en passant l’administration de trois à deux fois par jour ça devrait le faire suffisamment quand même, non… ???
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