26 – Épilogue…
- Everest
- Yves Morel
- 30 Mai 2009
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Namaste à tous !
Ça y est… La boucle est bouclée… Deux mois se sont déjà écoulés, à la fois au rythme d’une avalanche si je raisonne de façon globale, et à celui d’un sablier lors des moments les plus éprouvants de froid et d’attente…
Nous avons donc retrouvé la belle capitale anarchique… non pas belle par ses monuments, mis à part le joyau de temples que constitue Durbar Square, mais belle par l’authenticité que respirent les vieilles ruelles médiévales, belle par son ouverture sur l’autre, belle par sa tolérance, son honnêteté, ses sourires, son joyeux n’importe quoi (des motos dans des ruelles où un passant obèse ne passerait pas, des singes sur les toitures des temples en plein centre ville…), ses couleurs, ses odeurs de chaque instant, ses sollicitations sans insistance, son absence de mendicité, sa profusion de magasins qui incitent au renoncement du sérieux et à l’abandon du porte-monnaie… décidément, je porte cette ville profondément dans le cœur…
Je ne me répèterai jamais assez, ici existe le compromis parfait entre la vacuité des relations parisiennes, et l’overdose du Bangladesh où il n’est pas possible d’effectuer un pas sans qu’une nuée de locaux ne tombe sur le touriste… Je viens de rencontrer avec Joseph une Française qui a ouvert un bar restaurant et m’a longuement décrit cette nouvelle vie faite de plaisirs au quotidien, cette vie agrémentée de fêtes et du revenu simplement nécessaire à vivre sans s’enrichir, cette nouvelle vie sans stress ni contraintes… À étudier…
Après quelques jours avec Joseph ponctués de balades et de shopping (on a joué les vraies gonzesses !) je me retrouve à nouveau seul après qu’il ait réussi à avancer son retour vers Chicago mais pas moi… Décidément, Katmandou est peuplé de Français et à l’approche de la Mousson les vols retour vers Paris se sont avérés complètement bondés… Je peaufine ainsi mes derniers achats avec le risque certain de l’excès pondéral au moment de prendre l’avion… Je dois réaliser les dernières simulations demain mais je crois que je vais opter pour l’option « cosmonaute » avant de monter dans l’avion, à savoir, tout en cabine et bottes Everest incluses… C’est vrai quoi, je dois peser trente kilos de moins que certains donc on devrait inventer un principe de pollueur / payeur aussi au niveau des passagers… Plus t’es mince, plus ta capacité pondérale de bagages est accrue… et si cette autorisation exceptionnelle n’est pas utilisée, alors on t’accordes une réduction sur ton billet ou bien un avoir sur le prochain vol… Non ce n’est pas de la ségrégation, juste une incitation à garder la ligne…
Donc après avoir digéré la déception de constater que j’allais devoir patienter encore cinq jours avant de rentrer j’ai repris un rythme de croisière de plaisirs… à savoir, cinéma, balades, négociations et… un nouveau resto dans lequel officie maintenant un cuistot rencontré l’année dernière… J’y passe pas mal de temps et puis, outre la qualité et les prix tellement bas (1 € le super plat de poulet curry, 2 € la grande bière… !) et bien je trouve dans les à-côtés internet gratos en Wifi et… Roland-Garros ! Elle est pas belle la vie ?!?… J’ai hier tremblé pour Federer face à Acasuso et en ai profité pour expliquer les grandes règles du tennis aux serveurs… c’était bien sympa, parce que cela s’est bien terminé !
Pour en revenir à Joseph, j’espère que dans un peu plus d’un mois nous pourrons lui rendre une petite visite à Chicago, et ce, pour son plus grand plaisir j’ai l’impression…
Et les autres membres de l’expédition alors… ?
– Abu d’abord, notre si spontané et narcissique Abu… Nous l’avons ré aperçu avec Joseph plusieurs fois dans les rues Katmandouiennes… toujours flanqué d’un Pimba dont la personnalité aura décidément fondu comme peau de chagrin (ou neige au soleil, z’avez le choix aujourd’hui…) depuis le premier jour de l’expédition… Incroyable, celui qui était présenté comme le sherpa en chef… s’est retrouvé en quelques jours complètement anesthésié par la présence et le charisme d’Abu, au point de devenir incapable de prendre la moindre décision autonome (choisir un taxi pour quatre personnes de retour à l’aéroport de Katmandou…) et de se retrouver à jouer les porteurs des achats vestimentaires de son Dieu caucasien en pleine ville… Franchement décevant…
Aux dernières nouvelles, le grand stress d’Abu tenait à se procurer le fameux certificat de summiter octroyé par le Gouvernement népalais… Je pensais dans un premier temps qu’il s’agissait d’une preuve nécessaire à apporter à ses sponsors, mais non, et c’est là que je critique peut être outre mesure mais que la quête me paraît d’une futilité débordante… Abu était prêt à retarder son retour pour tenir ce papier simplement pour lui… Mais qu’est-ce qu’on s’en fout ! Il l’a atteint ce foutu sommet non ? Il le sait ou pas ?
C’est là où la philosophie de pas mal de grimpeurs me rend mal à l’aise et je ne sais plus très bien ou me situer… Cette Montagne, c’est censé être une quête, un parcours initiatique, vers le dépassement de soi-même, vers l’extrême… mais cette quête du Graal doit correspondre à un accomplissement personnel, comme dénicher la pièce rare d’une collection, et non pas au bonheur ostentatoire d’en mettre plein la vue au voisin… non ? Enfin, c’est ce que je pense…
– Et dire que c’est quasiment pour cette raison que Martin a failli mourir… En mettre plein la vue en société… Joseph m’a avoué qu’au cours de l’une de leurs discussions, Martin ne cessait de répéter… « C’est la Montagne la plus haute du Monde… Tout le monde la connaît… Tu te rends compte cette fierté si l’on en atteignait le Sommet… ? ». Non mais c’est complètement naze comme raisonnement ! Et le jour du Sommet, Martin s’est rendu compte que ça n’allait pas mais il a continué, à la volonté, au courage, jusqu’à l’épuisement et la chute… qui se serait avérée fatale sans ses trois sherpas pour le faire glisser le long de la pente et/ou le porter par moments…
Attention, je ne dis pas qu’il y a cinq ans je n’aurais pas raisonné comme cela… mais une fois de plus, je trouve cette façon de penser complètement vaine, narcissique et égocentrique… Je ne dis pas que je dois avoir honte de ma tentative mais il s’agit d’une recherche de mes frontières, d’une connaissance de moi… je n’en parlerai que si l’occasion s’en présente… Pas besoin d’un certificat de début de gel de mes orteils pour prouver que j’ai dû renoncer où au contraire atteindre le sommet…
Martin aura poussé ses limites jusqu’à s’écrouler et être prêt à mourir sur place… c’est con quand même, non ? Je ne m’en remets pas… Et pourtant il a vingt-deux ans de plus que moi… Suis-je le vieux ? Sans ses trois sherpas, il y passait… et allait compter avec les quelque deux cents corps soudés pour l’éternité aux glaces de Sagar Matha… Aujourd’hui, Martin se remet peu à peu de sa vision de l’au-delà… Il a encore l’air d’un cadavre ambulant et claudique du fait de ses orteils complètement nécrosés… Chaque jour et pendant un mois, il doit de rendre à la clinique chirurgicale qui lui pose de nouvelles compresses en vue de sauver des orteils apparemment encore viables… Waouh ! Rétrospectivement, je suis heureux de m’être arrêté à temps… en particulier un millésime 2009 assez prolifique en engelures et pertes d’extrémités, mais assez muet en nombre de succès…
– Boris, lui, à cause de crises de mauvaise humeur termine brouillé de façon définitive avec Abu… Apparemment, une faiblesse physique bien compréhensible due à un organisme ayant déjà soufflé 74 bougies lui est revenue comme une boomerang à partir du camp IV, où Boris a fait preuve de mauvaise éducation notoire jetant le thé qu’on lui proposait et insultant son entourage pour pouvoir manger…bref, se comportant comme un colon d’altitude…
Puis, après sa crise de froid lors de sa tentative de sommet, et sa redescente, il aurait essayé de se greffer aux Russes de 7 summits Club et nous ne l’avons plus revu depuis… Apparemment, l’équipe russe s’est encore une fois retrouvée bloquée à Lukla et son aéroport du vertige, à nouveau à cause d’un brouillard persistant…
– Quant à Joseph, ses regrets semblaient peu à peu en train de ressurgir et de s’imposer face à sa philosophie de surface et à l’inopposable et fataliste « It is what it is… »… Je le comprends le pauvre… Avoir passé les trois quarts de son temps au camp de base pour finalement ne pas pouvoir ne serait-ce que tenter l’attaque finale… il y a de quoi être déçu ! Et, déjà, joseph envisage un de ces jours l’Everest par la voix Tibétaine, Chomolungma quoi… une expédition apparemment moins dangereuse, mais plus venteuse donc plus froide, et un petit poil moins onéreuse… Non, non, non… peut-être changerai-je, mais vraiment je ne crois pas… Pas pour moi !
Par contre nous avons évoqué d’autres montagnes avec Joseph, dont le Denali alaskain (Mckinley) qui est un peu « sa » montagne (déjà quatre tentatives pour un sommet… seulement !) et que j’avais raté en 2005… J’aimerais assez y retourner dans une ambiance d’amitié avec cet homme si gentil et qui semble bien m’apprécier…
– Bon j’ai parlé d’un peu tous les membres de l’équipe et pas encore de mes propres sentiments… Dans le shaker un peu confus que constitue ma tête (je suis encore dans la phase tutti frutti…), peu à peu les différents filtres commencent à jouer leur rôle mais tout est encore bien embrouillé… Je pense avoir vécu une grande aventure… certaines fois un peu trop balisée quand même… Je n’ai pas atteint le sommet et suis forcément déçu… car ce n’est pas dans mes habitudes de m’arrêter en route… Mais cette fois il fallait. Et c’est tout… Par contre j’aimerais connaître la cause véritable de ce froid qui m’a envahi de façon si insidieuse et inéluctable… Joseph m’a donné une bonne explication par le fait que j’ai ingurgité pendant les phases d’attente pas mal de boules de neige pour étancher une soif énorme qui me tenaillait… Apparemment c’était une belle connerie car je me suis refroidi de l’intérieur… Sûrement, mais j’avais tellement soif et on s’arrêtait tellement souvent…
Dans les principaux regrets, ne pas avoir vécu ce fameux ressaut Hillary, ne pas me retrouver dans cette position précaire d’humain au sommet d‘une montagne exigue et entouré par ce fameux gaz… je repense par exemple au sommet du Matterhorn (le Cervin) et là par exemple c’était quelque chose… Et puis au rayon des goûts amers ou âpres en bouche, simplement l’image d’avoir dû faire demi-tour alors que tant d’alpinistes poursuivaient… ça m’emmerde, mais je suis prêt à reconnaître qu’il s’agit d’orgueil mal placé…
Enfin, il reste en tête et en macération progressive ces deux mois, ces deux mois d’introspection, d’auto-analyse, de prise sur soi, de dépassement, de craintes… Il reste la découverte de ce fameux ice-fall, de ses crevasses dantesques, de l’humilité ressentie face à ces séracs impressionnants et en perpétuel mouvement… Il reste cette sensation d’extrême… froid extrême le jour du sommet, chaleur extrême sous tente qui me conduisait à bouquiner ou à écrire torse nu chaque après-midi…
Il reste la déception d’une montagne suréquipée… La présence de ces cordes fixes perpétuelles rend cette forteresse mythique un peu galvaudée, enfin je trouve… Comme je vous l’ai écrit, et décrit, le jumar est une invention géniale mais une invention de bourrin… Grâce à ce dispositif accroché au baudrier, on « avale » la corde fixe dans le sens de la montée sans jamais ne pouvoir reculer et donc tomber en cas de perte d’équilibre… et par conséquent il suffit de prendre une impulsion et de lancer le jumar le long de la corde pour avancer… bien loin de la précision du pas de l’alpiniste cherchant à privilégier l’équilibre et gestion du souffle… L’apport de l’oxygène pervertit quant à lui complètement cette aventure de l’extrême lors des derniers jours, en donnant à l’organisme l’impression de redescendre artificiellement de peut-être quelque deux mille mètres…
Et puis, il y a les sherpas…L’alpiniste doit tout aux sherpas… TOUT. Plus qu’un guide, le sherpa est l’ange gardien du grimpeur, est garant de sa vie (cf l’épisode Martin) et lui porte tout son matériel… Le jour du sommet, si le client progresse en portant sa propre bouteille d’oxygène dans le dos, le sherpa porte ses propres bouteilles plus les deux bouteilles de rechange du futur « héro » occidental… soit une quarantaine de kilos ! C’est pourquoi il faut vraiment, mais alors vraiment relativiser la conquête de cette Montagne… qu’en plus je n’ai pas réussie…
C’est vrai qu’en puriste, j’aurais préférée une Montagne non suréquipée laissant d’avantage place à la technique alpine (C’est quand même un monde…j’aurais finalement apporté mon piolet pour RIEN, pas utilisé une seule fois, je ne m’en remets pas, à l’assaut d’un Mastodonte de glace comme celui-ci…), et même soyons fou mais une Montagne du dépassement c’est-à-dire véritablement un examen de l’extrême, jugeant sur pièce les différences de chacun donc une montagne que l’on gravisse obligatoirement sans oxygène… Enfin, je sais que je rêve, que cette optique n’est pas possible ni souhaitable et que cette Montagne représente au contraire une source de subside conséquente pour ce peuple en or… donc plus il y aura d’alpinistes sur les flancs de l’Everest et plus ce peuple pourra sourire et vivre… Enfin, malgré la satisfaction d’avoir été plus intelligent et responsable que Martin, il me reste quand même un léger goût amer en bouche… et je ne parle pas de la bière locale… Argh ! D’ailleurs, cette bière s’appelle l’Everest Beer, décidément je ne m’en sors pas…
Bon, c’est la fin, et je voulais vraiment, vraiment, vraiment (sans copier coller, c’est encore plus sincère…) vous remercier de votre gentillesse et de votre soutien qui m’ont réellement fait chaud au cœur lorsque le frostbite menaçait mes extrémités… Comme le public qui joue le rôle du douzième homme lors d’un match de foot et bien vous m’avez porté dans pas mal de moments, notamment cette douleur dentaire transperçante…
Merci, merci, merci… et j’espère a très bientôt en réel et pas en binaire…
Pheri Bhe Tongla
Yves
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